Heus aquí una entrevista amb Dan Tepfer sobre les Goldberg, un text que reflecteix a més a més el seu bilingüisme. Nascut a París el 1982 (la seva mare era cantant del cor de l'Opéra de La Bastille), Tepfer, avui establert a Brooklyn, parla totes dues llengües i comparteix les dues nacionalitats.
De Bach à l'improvisation
The Goldberg Variations was published almost three centuries ago, in 1741. Why do you think this music still deeply resonates with us in 2012?
C'est bien là le mystère de Bach: ses compositions datent d'il y a trois siècles, et pourtant elles font partie des œuvres d'art les plus indémodables de l'histoire. Je crois que ça a à voir avec la pureté de sa musique: elle est d'une structure si parfaite — et c'est particulièrement le cas de ses œuvres tardives comme les Variations Goldberg — qu'elle se prête à toutes sortes d'interprétations, sans perdre son intégrité. Ce n'est pas le cas, par exemple, de la plupart de la musique romantique, qui dépend, pour fonctionner, d'une certaine sonorité et d'une certaine façon d'exprimer l'émotion. C'est une musique très ouverte, en fin de compte, car Bach indique si peu: ni tempo (sauf dans de rares cas), ni nuances, ni phrasé. Il nous reste simplement des notes, parfaitement choisies, et notre but est d'en trouver la résonance dans notre propre temps.
When – and how – have you discovered it? When you think back to this first time, which feelings do you get?
J'ai découvert les Variations Goldberg autour de l'âge de quatorze ans, chez un ami du collège, qui est devenu plus tard le batteur de mon premier trio. On jouait aux échecs, et pendant que je réfléchissais à mon prochain coup, il s'est levé et a mis en lecture l'enregistrement de Gould de 1981, piochée dans la collection de disques de ses parents. L'Aria m'a tout de suite bleufé: c'était tellement beau que je ne pouvais rien faire d'autre que d'écouter. Et lorsque la première variation est apparue, je me souviens que c'était vraiment un choc pour moi, une coupure radicale à laquelle je ne m'attendais pas et que j'ai voulu comprendre. Et pourtant, je jouais beaucoup de Bach depuis l'âge de six ans, au conservatoire; c'était une musique que je connaissais d'un point de vue stylistique. Mais j'ai tout de suite senti une affinité particulière pour les Variations Goldberg.
To any pianist, to play 'The Goldberg Variations' presents a challenge, especially since Glenn Gould’s interpretations. How have you dealt with this challenge ? What has decided you to take it up now?
En fait, c'est d'une simplicité totale pour moi: je n'ai jamais décidé de jouer les Variations. C'est quelque chose qui s'est fait petit à petit, sur plus d'une dizaine d'années, sans vraiment que je m'en rende compte. Je ne me considère pas vraiment comme un pianiste classique, en fait: je suis avant tout un improvisateur. Mais les Variations me sont restées sous la peau. J'ai acheté la partition des Goldbergs vers la fin de mon adolescence, plutôt pour l'avoir comme référence que pour la travailler, mais je ne pouvais pas résister à l'idée d'apprendre au moins l'Aria. Et après l'Aria, la première variation, et la deuxième... Les Variations Goldberg, c'est un peu comme une drogue, pour moi, une drogue très saine. Il y a des choses, dans la vie, dont on ne se lasse pas. Ce sont les Variations qui m'ont choisi, plutôt que le contraire.
Après, pour ce qui est du défi de jouer cette musique, j'ai toujours eu un tempérament de casse cou, pour le meilleur ou pour le pire, et c'est peut-être pour ça que je me suis lancé dans cette aventure sans trop me poser de questions. J'ai pu me distancer de l'influence de Gould en écoutant des interprétations profondément différentes, en particulier celles de Pierre Hantaï et Wanda Landowska, toutes deux au clavecin.
What was the recording session like ? What mood were you in ?
J'ai eu la chance de signer un contrat d'artiste avec Yamaha peu avant le début de l'enregistrement de l'album. J'avais prévu de le faire dans un studio, mais je me suis rendu compte que je pouvais désormais enregistrer l'album moi-même, dans les locaux de Yamaha à New York, sur leur nouveau piano de concert, le CFX, et cela me semblait idéal. J'ai donc tout fait moi-même, du placement des micros au mixage, et ça m'a donné une indépendance que j'ai adoré. Tout seul, tard dans la nuit, sur la Cinquième Avenue à Manhattan, à jouer de la musique composée il y a trois siècles pour un compte insomniaque (si on en croit l'histoire apocryphe des Variations rapportée par le premier biographe de Bach), il n'y avait rien entre moi et l'album que j'enregistrais. Gould lui-même aimait enregistrer tard dans la nuit, et je suis convaincu que si la technologie de l'époque le lui avait permis, il aurait lui-aussi choisi de travailler seul. C'est très libérateur.
On your album, each variation is followed by an improvisation on that variation. When you play live the Variations, how important is improvisation? What connections do you see (or hear…) between J.S. Bach and jazz?
Sur ce projet, l'improvisation est primordiale pour moi. D'une certain manière, je ne joue que le texte de Bach pour présenter le matériau, auquel je réagis après en improvisant. Bien que je me sente proche de l'œuvre de Bach, c'est dans l'improvisation que je suis le plus moi-même, et je crois que ce sont mes réactions improvisées qui font de ce projet quelque chose de réellement contemporain, car il entre dans une vision de la musique où les genres se rapprochent, où les démarcations entre la musique classique, le jazz et la pop deviennent plus difficiles à tracer. Lors de concerts, mes improvisations sont toujours différentes, même si elles partent du même matériau: mon but est qu'elles reflètent à la fois l'œuvre de Bach et l'instant présent où je suis en train de jouer. J'aime le contraste entre la perfection très construite de Bach et l'imperfection inhérente à l'improvisation spontanée.
Par ailleurs, il y a une connexion particulière entre le jazz et la musique de Bach: une pulsation dansante, une affinité pour les longues lignes mélodiques qui serpentent au travers des changements harmoniques... Dans les Variations Goldberg en particulier, Bach procède d'une manière proche de ce qui se passe dans l'improvisation de jazz traditionnelle: il présente un thème (l'Aria), puis se sert de la trame harmonique de ce thème pour inventer de nouvelles mélodies (les Variations). C'est, vu d'un point de vue abstrait, exactement ce que font les musiciens de jazz quand ils improvisent sur un standard, sauf qu'ils ne s'arrêtent pas entre leurs variations.
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